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Mathématiques : origines et développement

Origine des mathématiques

Il n'est pas possible de comparer nos sensations : la vue et l'ouïe travaillent avec des longueurs d'ondes qui sont de natures différentes. Pourtant, ces sens ont en commun de gouverner notre appréhension de l'espace et du temps ; c'est à ce titre qu'ils sont imprégnés des mathématiques.

À l'origine, le nombre semble être né de la relation de l'homme avec le temps, et de sa relation avec l'espace : "Une conception très répandue est que la notion de nombre est en relation étroite avec celle de temps, avec la succession dans le temps. Parmi ces représentations, on peut citer Kant pour les philosophes, Hamilton pour les mathématiciens. D'autres pensent que le nombre a plutôt à voir avec la conception de l'espace ; ils ramènent la notion de nombre à la vision simultanée des différents objets placé l'un à côté de l'autre." (Klein, F., Mathématiques élémentaires).

L'espace et le temps sont aujourd'hui des notions imbriquées, et il ne serait pas improbable que le nombre soit né d'une appréhension gouvernant à la fois le temps et l'espace. Né des travaux sur la relativité générale d'Einstein qui rendent caduque la notion de temps universel et détruisent la construction newtonienne d'un espace absolu, le concept d'espace-temps a été inventé en physique moderne pour observer des événements possédant une vie propre, à la fois dans l'espace et dans le temps. À partir des formules d'Einstein prouvant qu'il fallait attribuer une valeur finie à la vitesse de la lumière, on a pu vérifier que l'espace se contracte et que le temps se dilate quand un observateur juge de phénomènes associés à un autre système de référence que celui auquel il est rattaché.

En 1929, lors d'une éclipse solaire, Arthur Eddington a pu observer cette courbure de l'espace, et il a confirmé ainsi la représentation de l'espace-temps que la théorie de la relativité générale d'Einstein avait déduit à partir d'équations mathématiques.

Rôle des mathématiques

Le calcul qu'il serve à mesurer, c'est-à-dire à exprimer des qualités par des quantités, ou qu'il gouverne des processus hiératiques, aléatoires, a été conçu pour analyser des phénomènes naturels dans une logique opératoire. Il permet par exemple à l'homme de se représenter par l'abstraction certains phénomènes qui ne sauraient être reproduits deux fois à l'identique.

Ainsi le calcul réussit à instrumentaliser la nature. Il renforce la connaissance en apportant un niveau supplémentaire d'intégration dans la hiérarchie de nos perceptions. Le virtuel des images de synthèse, entièrement calculées par ordinateur, peut servir, par exemple, à appréhender le réel sous des formes que notre perception n'arriverait pas à distinguer. L'utilisation du calcul intervient aussi dans les microscopes à balayage électronique ou dans l'échographie. Grâce au développement de démonstrations intuitives, facilités par le raisonnement, une nouvelles part du réel est dévoilée (mais pas créée) par le calcul. Les formalismes mathématiques ne sont pas une nouvelle réalité, mais ils servent à construire une nouvelle apparence grâce à une abstraction qui reconsidère le réel sous une forme différente.

La jonction est donc évidente, et les mathématiques trouvent place à côté de l'art comme "outil de connaissance". Il ne s'agit pas d'observation par les sens mais d'observation empirique ; on a rencontré des mathématiciens aveugles comme le Suisse L. Euler (1707-1783), par exemple, qui l'était devenu sur la fin de sa vie lorsqu'il rédigea ses Institiones calculi intégralis (ouvrant la voie au calcul intégral). Il ne s'agit pas non plus de démonstration, car la valeur esthétique n'appartient pas à un domaine où les vérités sont absolues. L'utilisation du calcul dans la création artistique dénote en fait plus qu'une simple déduction rationnelle. Elle s'apparente plutôt à une méthode au sens où l'entendent les philosophes, c'est-à-dire à un mode de pensée tourné vers le futur. Descartes, par exemple, entame son Discours de la Méthode par la déclaration suivante :

"Des considérations et des maximes dont j'ai formé une méthode, par laquelle il me semble que j'ai moyen d'augmenter par degrés ma connaissance." (I, 3.).

On rapprochera cette citation de Descartes de celles de Pierre Boulez parlant de de "déductions", de de "proliférations de l'idée" dans ses cours au collège de France réunis dans "Jalons pour une décennie".

"Comment, à partir de ce chaos, ou à partir, disons, de possibilités dont nous voyons à la fois les limites potentielles et l'absence réelle de frontières immédiates, organiser un monde sonore cohérent, riche et susceptible de supporter les structures, la mainmise de la composition ? Il nous faut alors pratiquer l'interpolation et l'extrapolation sur des notions existantes (...) ; il faut probablement placer des jalons pour une perception (...). C'est la relation profonde entre nécessité, responsablilité et déduction. (...) L'invention n'est pas une espèce de de profusion vague et généreuse ; elle est la profusion dans la déduction."
Cf. BOULEZ (Pierre), Idée, réalisation, métier,
Enseignement au Collège de France annoncé sous le titre "L'invention musicale, I : origines et antécédents", janvier - avril 1978.
Paru in : Jalons (pour une décennie) : dix ans d'enseignement au Collège de France (1978- 1988). Textes réunis et présentés par J.J. Nattiez, préface posthume de Michel Foucault, Paris, Christian Bourgois, Coll. Musique/Passé/Présent, 1989, 452 p., pp. 33-69.