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ART musique et harmonie

La vie nous conduit vers des points de bifurcations où nous sommes autorisés à bâtir certaines passerelles entre différents domaines d'activité. C'est ainsi que, de la pratique de l'Aïkido, me sont venues quelques éléments de réflexion sur les voies de circulation de l'énergie à l'œuvre dans la musique.

Aïkido

Créé par O Sensei UESHIBA Moriheï l'Aïkido signifie étymologiquement un mouvement des énergies dans la voie de l'harmonie. Cette définition en fait, s'applique pour moi à tous les arts, et plus spécifiquement à la musique.

L'un de ses élèves, maître KOBAYASHI Hirokazu, a transmis une vision de cette pratique qui met en œuvre des spécificités telles que le meguri et des styles d'aïkiken et d'aïkijo qui évoluent dans l'esprit de l'aïkido indiqué par Morihei UESHIBA vers la fin de sa vie. Charles ABELÉ, qui fut mon maître et à qui je veux rendre hommage, a créé sa propre école en 1996, la Fédération Aïkiryu et Arts du Geste pour transmettre cet enseignement. Il me semble que la musique de Poulenc sur les vers de Villemorin exprime ce que j'ai ressenti à l'annonce de sa disparition.

L'harmonie du corps

Schéma corporel

Le schéma corporel est la représentation que chaque individu se fait de son corps, image à l'état statique ou à l'état dynamique, qui nous permet de nous situer dans l'espace, le temps, la vie ... "Le corps envisagé du point de vue psychologique ne peut se limiter au corps objet, mon corps n'est pas un objet extérieur, je suis un corps, un corps qui sent, qui touche, qui bouge et agit en fonction de certaines situations significatives." Eric Delassus

Parcequ'ils nous construisent et font de nous ce que nous sommes, la musique et l'Aïkido sont des arts. Un art, c'est plus qu'un savoir ; c'est une expérience. C'est ce qui nous permet d'exister, c'est-à-dire de sortir de nous mêmes. Il est plus facile par cette approche de comprendre pourquoi les arts martiaux n'ont pas d'art que le nom ...

L'harmonie du musicien

Le terme d'harmonie est familier aux musiciens. De son étymologie grecque, il a conservé le sens d'assemblage, d'accord ; on pense en premier lieu aux "accords" qui réunissent plusieurs hauteurs, mais les musiciens parlent aussi d'harmonie dans la dimension du timbre.L'Harmonie est un petit ensemble de cuivres (pensez au film "les virtuoses"). De même, harmoniser un instrument, par exemple un orgue, signifie l'accorder, égaliser ses sonorités. Dans toutes ces acceptions, on ressent une dimension qualitative primordiale.

L'harmonie revient à une bonne adaptation des parties à une fin. Le compositeur est le maître des ces rapports harmonieux qui tracent une voie entre les parties et le tout. Il ressent des énergies, souvent conflictuelles, et il les concrétise, il leur donne une cohérence, qui se traduit dans la corporalité de l'instrument. La création surgit de l'innatendu, de l'immédiateté, rend harmonieuses les dissonances, brise ainsi toute référence, consciente ou inconsciente : elle nous permet, comme l'Aïkido, de relier la matière et l'esprit, de construire un système ouvert, communiquant avec son environnement. Ce système, c'est en propre celui de la vie.

Harmonie et harmoniques

La musique, intimement liée à la notion de consonance, s'est élaborée au cours du temps à partir de la décomposition d'un son en harmoniques.

Quelques théoriciens de la musique au XIXème siècle émirent l'idée que le principe de consonnance était une application physiologique de la décomposition spectrale des sons. Ce fut notamment l'idée exprimée pour la première fois par Ludwig H. von Helmholtz dans sa Théorie physiologique de la Musique. Cependant de récents travaux (notamment ceux de Stephen Mc Adams et J-C. Risset. Cf : Introduction à la cognition auditive. - Hauteur et timbre des sons. Jean-Claude Risset Rapport Ircam 11/78, 1978. Ces tracaux montrent que la théorie d'Helmholtz est trop simpliste pour rendre compte de la complexité de la percepion. (Cf également l'article Harmonique de l'encyclopédie Wikipedia.)

La "visualisation" du spectre sonore date du XVIIIème siècle. Elle correspond avec la mise au point, en 1787, d'une expérience simple effectuée par le physicien allemand Ernst Chladni (1756-1827). En ajoutant du sable fin sur un corps mis en vibration (tuyau, plaque), Chladni a pu étudier la propagation du son dans les solides ; il fut alors le premier à mettre à jour la nature longitudinale de la vibration. À partir de la répartition des amas de sable le long de plaques de cuivre découpées en forme de violons, il a fourni ce qu'il nommera des images du timbre ("Klangsbilder"), images bien entendue figées des vibrations sonores. Les plaques de Chladni, frottées avec un archet, procuraient la première figure des nœuds et des ventres de la vibration acoustique. Les concentrations d’amas de sable sur des lignes claires correspondaient aux n#339;uds de la vibration (amplitude de vibration nulle). Les sons aigus fragmentaient la plaque plus largement. Il a donc pu vérifier que les caractéristiques géométriques de chaque violon font qu'ils résonnent particulièrement pour certaines fréquences propres.

Karl Rudolf Kùnig (1832-1901) proposa en 1862 une expérience permettant de visualiser les vibrations sonores en temps réel. Il inventa la capsule manométrique qui, excitée par une onde sonore, modulait un jet de gaz alimentant une flamme. La projection visuelle de la hauteur de la flamme au moyen de miroirs tournants donnait l’image (animée) de la perturbation acoustique.

Il a fallu ensuite attendre les années 1940 pour que le sonagraphe, issu des recherches sur la parole menées aux Bell Laboratories, marque une deuxième étape importante de la découverte de l'évolution temporelle des harmoniques d'un son. L'appareil propose une représentation graphique à trois dimensions du phénomène (temps - fréquence - amplitude). Il permet ainsi de suivre un spectre évolutif dans l'étude de la parole en particulier et des sons complexes en général. Cet élément fut capital pour les recherches en synthèse sonore. Il permit de comprendre que l'évolution temporelle est un des paramètres utilisé par l'oreille pour reconnaître le caractère vivant ou synthétique de la production du son.

Référence à consulter : Le chant des harmoniques Un film du CNRS sur le chant diphonique (36')

L'harmonie des mathématiques

Le calcul qu'il serve à mesurer, c'est-à-dire à exprimer des qualités par des quantités, ou qu'il gouverne des processus hiératiques, aléatoires, a été conçu pour analyser des phénomènes naturels dans une certaine logique opératoire. Il permet par exemple de se représenter par l'abstraction certains phénomènes qui ne sauraient être reproduits deux fois à l'identique.
Ainsi, par les mathématiques, l'homme réussit à instrumentaliser la nature, à appréhender le réel sous des formes que notre perception n'arriverait pas à distinguer.

La jonction avec la création artistique est donc évidente, et les mathématiques trouvent place à côté de l'art comme "outil de connaissance". Il ne s'agit pas d'observation, car on a rencontré des mathématiciens aveugles : le Suisse Leonhard Euler (1707-1783), par exemple, l'était devenu sur la fin de sa vie lorsqu'il rédigea ses Institiones calculi intégralis, ouvrant la voie au calcul intégral. Il ne s'agit pas non plus de démonstration, car la valeur esthétique n'appartient pas à un domaine où les vérités sont absolues. L'utilisation du calcul dans la création artistique dénote en fait plus qu'une simple déduction rationnelle. Elle s'apparente plutôt à une méthode au sens où l'entendent les philosophes, c'est-à-dire à un mode de pensée tourné vers le futur. Descartes, par exemple, entame son Discours de la Méthode par la déclaration suivante : "Des considérations et des maximes dont j'ai formé une méthode, par laquelle il me semble que j'ai moyen d'augmenter par degrés ma connaissance." (I, 3.). En musique, plus qu'à une méthode, on s'intéresse à un modèle qui peut être mathématique : fondé sur un système, tout modèle doit permettre à chaque instant de faire surgir le nouveau, l'imprévu. On retrouve dans ce postulat l'idée des points de bifurcation chère à la théorie de Prigogine :

La musique "est l'exemple même d'un système instable. La moindre pièce de Bach fait appel à des règles et à des surprises. En cela la situation est comparable à celle des systèmes loin de l'équilibre. On y rencontre une succession de points, de bifurcations. Entre les points de bifurcation, nous pouvons faire appel à une description déterministe (ce sont les " règles de Bach "). Au point de bifurcation même, nous avons une description probabiliste. D'où l'élément d'imprévisibilité ou de surprise. Cette apparition de nouveauté s'apparente à la notion de créativité. Cette notion, je crois, s'applique autant au domaine des sciences qu'au domaine des arts et de la littérature. C'est d'ailleurs l'opinion de Paul Valéry, qui définissait la créativité en écrivant : "Mon esprit cherche à bâtir quelque chose qui lui résiste." J'ai toujours été intéressé par les contradictions qui se font jour chez les grands créateurs. Einstein a cru à un déterminisme absolu de l'univers, mais il croyait aussi au rôle créateur de l'imagination. Pour lui, une théorie physique résultait du libre jeu de l'imagination. Comment réconcilier ces deux approches ? Car s'il y a libre création due à notre vie spirituelle et cela dans un univers déterministe, alors nous nous trouvons hors de l'univers. Nous arrivons dès lors à un dualisme difficile à accepter. J'ai eu récemment l'occasion de lire les écrits de René Magritte. Là aussi on trouve une conception curieuse de la créativité. Magritte, tout comme Einstein, insiste sur le fait que le créativité vient de l'étonnement, d'un sentiment de malaise. Mais pour lui, toute tentative d'explication du mystère dégrade le mystère. Il faut le prendre comme un tout. (...) En prenant l'exemple de Magritte et celui d'Einstein, je veux souligner la variété des attitudes que l'on trouve devant le phénomène de la créativité." (I. Prigogine, Entretien avec Andrew Gerzso, Résonances, 1995)

Des approches totalement déterministes nient complètement le libre arbitre ou même la créativité. Or la créativité demeure en fait le moyen idéal de participer au processus qui inscrit l'homme dans le temps de l'évolution. La musique est par excellence cet art de la création du temps, de la création dans le temps de mouvements énergétiques . Les phénomènes sonores, bien qu'irréversibles, parviennent ainsi à une cohérence en s'éloignant de l'équilibre énergétique, comme des systèmes dynamiques situés à des positions limites.